Renaissance
 
Je m’appelais Évalyn Sarah Miller, jeune fille de 20 ans, je n’étais pas très grande, 1 m 60, des cheveux châtains mi-longs, un regard noisette ; ma silhouette était assez frêle. Je me suis toujours trouvée d’une banalité affligeante. J’étais étudiante en fac de droit. Élève studieuse, j’avais quelques amies avec lesquelles je sortais de temps en temps le week-end et que je retrouvais tous les matins avant le début des cours. Je ne faisais jamais d’excès, j’étais d'un genre calme et réservé et je pensais plus à mes études qu’aux garçons ou autres soirées branchées entre étudiants. Je vivais dans une petite maison en Bretagne près de Concarneau avec ma mère.
Ma petite vie tranquille s’écoulait doucement et paisiblement jusqu’à ce jour du mois de février, ce jour où ma vie a basculé du tout au tout…
 
Ce matin-là, mon réveil sonna à 7 heures, ce qui signifiait qu’une nouvelle journée de cours s’annonçait pour moi. Je tendis mon bras afin d’éteindre l’éternel crincrin matinal. Je me levai un peu étourdie, puis descendis à la cuisine et vis ma mère devant la cuisinière en train de préparer mon petit déjeuner.
— Bonjour chérie !
— Bonjour maman !
Ma mère, Barbara était une femme de taille moyenne avec les yeux et les cheveux d’un noir corbeau qui me couvait un peu trop comme toutes les mères. Cependant, j’entretenais avec elle une relation très fusionnelle. Elle était à la fois ma protectrice et ma meilleure amie. Je pouvais tout lui confier sans qu‘elle émette le moindre jugement. Elle lisait beaucoup et vouait une véritable fascination aux mythes et légendes
— Bien dormi ? m’interrogea-t-elle.
Je ne pouvais pas lui mentir, car elle me connaissait mieux que quiconque. Je venais de passer une nuit si agitée que les cernes – que je devinais sous mes yeux – me trahiraient sans nul doute.
— À vrai dire non.
Ma mère se retourna en m’adressant un regard interrogateur. Elle avait le don pour s’inquiéter dès que je répondais par la négative.
— Que t’arrive-t-il ?
— J’ai eu une migraine affreuse cette nuit et elle n’est toujours pas passée.
À peine avais-je fini ma phrase que je la vis foncer à l’étage. Je l’entendis ouvrir la porte de la salle de bain, sûrement pour aller me chercher une aspirine. Cette idée me fit sourire, car je savais que dès qu’il s’agissait de ma santé physique ou mentale, elle était prête à aller agresser le pharmacien à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit afin d’obtenir le remède miracle pour m’aider à me sentir mieux.
J’étais sa fille unique, elle m’avait élevée seule et, malgré mes 20 ans, elle me considérait toujours comme son bébé. Parfois, elle me faisait penser à une lionne, toujours prête à tuer afin de défendre sa progéniture.
Deux minutes plus tard, je l’entendis dévaler les escaliers, et j’avais vu juste puisqu’elle tenait à la main un tube d’antalgique.
Elle sortit un verre du placard, le remplit d’eau du robinet, y plongea le cachet effervescent et me le tendit.
Une fois le comprimé dissout, j’avalais d’une traite ce breuvage immonde qui avait pour habitude de m'arracher un frisson de dégoût.
Puis elle me servit les crêpes qu’elle venait de me préparer. Je ne me fis pas prier pour les manger.
Une fois repue, je montais à la salle de bain afin de me préparer pour aller en cours.
Après avoir pris une bonne douche et m’être habillée, je filais dans ma chambre pour attraper mon sac, descendis les escaliers, embrassai ma mère puis filai.
En descendant du bus qui me déposait devant la fac, je constatais que mes amies m’attendaient déjà. Et comme tous les matins, j’écoutais les potins de chacune en hochant la tête de temps en temps afin de leur montrer mon attention sans vraiment les écouter.
 
La journée passa lentement, ma montre affichait 15 heures, puis la sonnerie vint à retentir, annonçant le début du cours de droit pénal.
Je pénétrais dans l’amphi et m’asseyais au premier rang afin de suivre le cours le plus sérieusement possible. Je laissais les places du fond à mes « pies » de copines comme toujours.
 
J’étais plongée dans les explications du prof avec attention jusqu’à ce qu’une douleur fulgurante comprime mon crâne. Je n’avais jamais ressenti une telle souffrance. J’avais l’impression que l’on m’avait ouvert la boîte crânienne et que l’on me comprimait le cerveau jusqu’à ce qu’il explose. Et puis… le trou noir.
 
Je me réveillais – sur un lit d’hôpital – complètement ensuquée. Je n’arrivais pas à me rappeler comment j'avais atterri ici. Une vague de panique me submergea et je commençais à appeler ma mère.
À cet instant, la porte de ma chambre s’ouvrit brusquement et je la vis débouler totalement paniquée, les yeux rouges et gonflés.
— Oh ! ma chérie, comment te sens-tu ?
— Ça peut aller, mais je crois que ma migraine est revenue et j’ai très mal.
À ses mots, maman se mit à fondre en larmes et je ne comprenais pas pourquoi. C’est à ce moment précis que le médecin entra dans ma chambre.
— Bonsoir mademoiselle Miller.
— Bonsoir docteur. Pouvez-vous me dire ce que je fais ici ?
— Et bien, vous avez fait un malaise à la fac et vous avez perdu connaissance. Votre professeur a appelé les secours et comme vous étiez toujours inconsciente, vous avez été transportée à l'hôpital. (Il fait une pause.) Vous ne vous souvenez de rien ?
Je hochais la tête négativement.
Le médecin affichait une mine grave, le regard perdu ailleurs. Lorsqu’il s’approcha de moi, je pus distinguer le mot neurochirurgien brodé en bleu sur sa blouse blanche immaculée.
— Euh… Je suppose que ma migraine a été plus intense que cette nuit et qu’elle a provoqué cet étourdissement, lui dis-je en essayant de percevoir chez lui une expression rassurante.
— Mademoiselle, je suis le médecin qui s'est chargé de votre admission et étant donné que vous êtes majeur, il est de mon devoir d’être honnête avec vous.
À ces mots, ma mère redoubla ses sanglots et serra ma main dans les siennes. Je ne comprenais toujours pas pourquoi, mais leur comportement commençait à me faire très peur et c’est là que le couperet tomba :
— Mademoiselle lorsque vous avez été admise aux urgences, votre état était assez préoccupant. Nous avons pratiqué les examens pour trouver la cause de votre mal.
Il fit une pause en me fixant l’air désolé avant de reprendre.
— Votre IRM présente une masse sombre dans votre cerveau.
Ces mots me firent l’effet d’un électrochoc. Je fixais le docteur droit dans les yeux en espérant qu’il fasse une blague de mauvais goût, mais visiblement non.
— Que voulez-vous dire ? osai-je demander en espérant que cette masse n’était que bénigne.
— j’ai le regret de vous informer que vous êtes atteinte d’une tumeur au cerveau.
— Co… Comm… Comment ? Elle est petite ? Vous allez me l’enlever ? paniquai-je.
Tout se bousculait dans ma tête, malgré la douleur continuelle qui irradiait à l’intérieur.
Il baissa la tête, ne sachant où regarder, et m’affligea le coup de grâce final :
— Votre tumeur est à un stade très avancé, située trop près de votre tronc cérébral. Je suis navré, mais c’est inopérable.
Je déglutis, mais la boule qui s'était formée au fond de ma gorge me brûla au passage, tandis qu'une vague d’eau salée commençait à brouiller ma vision, mes larmes perlaient sur mes joues. Je fermais les yeux – comme si ça pouvait stopper le flot qui s'y déversait –, je ne savais plus quoi penser. Dans un dernier souffle de douleur, je ne pus m’empêcher de lui poser LA question :
— Combien de temps me reste-t-il ?
— Un mois tout au plus.
Je sentis le néant et la colère envahir tout mon être.
Pourquoi moi ? Je n’ai que 20 ans. J’ai encore toute la vie devant moi. Que va devenir maman si je ne suis plus là.
J’étais totalement déconnectée du monde qui m’entourait. Cependant, des mots vinrent heurter mon esprit vide. J’ouvris les yeux et compris que le médecin s’adressait à moi. N’ayant pas saisi ce qu’il venait de me dire, je le fis répéter.
— Je vais vous prescrire un traitement contre la douleur, vous pouvez sortir dès ce soir.
Je le vis griffonner une ordonnance puis la tendre à ma mère avant de quitter ma chambre.
Dès qu’il referma la porte, je ne pus m’empêcher de me lever de mon lit afin de me préparer à rentrer chez moi.
Puisqu’il ne me restait qu’un mois à vivre, autant ne pas le gâcher par un séjour à l’hôpital.
Je demandais à ma mère de m’aider même si je savais qu’elle était aussi anéantie que moi. Ce n’était pas dans l’ordre des choses de perdre un enfant, son enfant.
Elle m’aida tant bien que mal, malgré son flot de larmes qui ne cessait de se déverser.
Nous quittâmes l’hôpital en silence. Je ne savais plus quoi dire, ni faire. Je devais à la fois être forte pour maman, mais aussi pour moi. L’idée qu’il ne me restait plus qu’un mois à vivre clignotait dans ma tête.
Lorsque nous arrivâmes à la maison, je n’osais pas regarder ma mère dans les yeux. Je percevais sans mal les ravages de la nouvelle.
Nous montâmes les escaliers qui menaient à ma chambre dans un silence mortuaire. Puis, me faisant face, elle me prit dans ses bras et murmura à mon oreille :
— Mon ange, essaie de dormir, repose-toi.
Je hochais la tête puis je vis qu’elle me fixait droit dans les yeux.
— Si j’avais la possibilité de prendre ta place, je le ferais sans aucune hésitation. Ce n’est pas juste ! Mon bien le plus précieux va m’être arraché sans que je puisse faire quoi que ce soit.
— Maman, je t’aime, furent les seuls mots que j’eus la force de prononcer avant de m’effondrer en larmes dans ses bras.
Au bout de 5 minutes, je sentis la fatigue m’envahir et mon sang tambouriner dans mes tempes. Je m’excusais auprès d'elle, prétextant qu'il était déjà tard. Elle m’embrassa, comme jamais elle l’avait fait.
Je refermais la porte de ma chambre, m’appuyant contre celle-ci en soufflant un bon coup. Je m’emparais de mon pyjama que j’avais laissé sur mon lit avant de partir ce matin, puis me changeais.
Je m’allongeais et sombrais dans un sommeil malgré tout profond, exténuée par cette journée qui avait à jamais chamboulé ma vie.
 
Un cri euphorique qui provenait de la chambre de ma mère, me réveilla en sursaut. Je me levais d’un bond et courus vers elle.
En entrant dans la pièce, maman faisait des bonds joyeux sur son lit. Cette scène faisait froid dans le dos. Je pensais qu’elle avait pété les plombs et que la folie l’avait gagnée.
— Tu ne vas pas mourir, Éva ! s’écria-t-elle.
Là, j’étais convaincue qu’elle était bonne pour l’asile.
— Maman calme toi ! Tu délires !
— Mais non ma chérie ! Je sais comment te guérir.
Je connaissais son éternelle obsession concernant ma santé, mais là… il ne suffisait pas d’aller chercher une aspirine ou un quelconque sirop pour la toux. J’allais mourir, j’étais condamnée, ainsi l’avait dit le médecin quelques heures auparavant.
— Maman ! hurlais-je
Et sur ce, elle se mit à crier :
Océane !
Océane ? C'est quoi ça, Océane ? Une potion miracle ? Je n’en avais jamais entendu parler. Une magnétiseuse peut-être ? Je regardais ma mère avec des yeux ronds comme des soucoupes.
— Mais oui, la nymphe de l’eau ! me dit-elle.
Là, je savais que s’en était fini de la santé mentale de maman.
Elle m’expliqua qu’Océane était la nymphe qui dirigeait un soi-disant royaume aquatique et que si l’on découvrait une étendue d’eau au cœur de la forêt de Brocéliande un soir de pleine lune, on pouvait faire appel à elle afin de guérir un être atteint d’un mal incurable.
Là, il était évident que maman n’avait plus toute sa raison.
— Cela ne marche que pour les jeunes filles vierges. Elle a le pouvoir de te guérir. Il suffit de découvrir cet endroit et de t’y baigner un soir de pleine lune. Ma chérie, je t’en supplie, dis-moi que tu es toujours vierge malgré ton âge.
Ses paroles me projetèrent la vision de deux hommes vêtus de blanc, venant chercher ma mère avec une camisole.
— Éva, es-tu toujours vierge ? cria-t-elle.
— Euh oui, fis-je l'air hébété.
Étant donné que ma vie studieuse n’avait laissé aucune place pour un quelconque petit ami – et ça, maman le savait parfaitement –, il était évident que j'avais encore ma virginité malgré mes 20 ans.
— Bien ! Dans 5 jours, c‘est la pleine lune. Je trouverais cette marre ! conclut-elle plus déterminée que jamais.
Vu mes chances de survie, c’est-à-dire zéro, je n’avais rien à craindre d’un bain de minuit, si cela pouvait permettre à ma mère de garder espoir même si je savais ma cause perdue d’avance.
Après cette conversation, je regagnais ma chambre et me rendormis non sans mal.
 
Les cinq jours suivants passèrent à une vitesse vertigineuse.
 
Je n’avais pas remis les pieds à la fac depuis mon malaise. Dans la mesure où il ne me restait plus qu’un mois à vivre, je ne voyais plus l’utilité d’y aller maintenant que je savais que ma vie allait être abrégée rapidement. Maman avait passé ces derniers jours à arpenter la forêt de Brocéliande dans l’espoir de trouver la source de ma guérison, jusqu’à ce qu’elle rentre au bout du 5e jour avec une mine des plus radieuses en me disant qu’elle avait fini par la trouver.
J’en restais bouche bée. Cependant, je m’étais déjà résolue à faire ce qu’elle me dirait dans la mesure où cela lui donnait un espoir même si je savais au fond de moi que c’était peine perdue. Beaucoup de légendes naquirent dans cette forêt, mais je savais pertinemment qu’aucune d'elle ne pourrait me sauver.
J’ai toujours été quelqu’un de très terre-à-terre. Alors les contes et légendes... Je n’y ai jamais cru contrairement à ma mère. Je ne croyais pas plus à cette histoire de nymphe guérisseuse, mais pour une fois maman en aurait la preuve avant que je quitte ce monde. Ainsi, elle finirait par avoir les pieds sur terre.
 
Ce soir-là, après dîner, nous montâmes dans la voiture en direction de cette soi-disant source miraculeuse. Nous roulions depuis 45 minutes lorsque maman stoppa la voiture sur le bas-côté et coupa le moteur. Je scrutais les environs qui ne m’inspiraient guère confiance.
Nous descendîmes de la voiture et je suivis ma mère, équipée d’une lampe torche, se frayant un passage au travers de l’épaisse verdure. Je constatais qu’elle avait balisé son chemin afin de retrouver la source miraculeuse.
Après nous être enfoncées pendant 20 minutes, nous débouchâmes dans un endroit plus dégagé au milieu duquel s’étalait la fameuse marre. C’était un lieu clair et paisible malgré la nuit avec, en son centre, l’étendue d’eau, limpide, reflétant l'éclat de la lune tel un miroir.
Maman me demanda de me déshabiller afin que je pénètre dans l’eau. Cette idée me rebuta, car il ne faisait que 3 degrés dehors. Je n’allais pas mourir d’une tumeur au cerveau, mais plutôt d’une pneumonie ou que sais-je encore.
Puis, elle me prit dans ses bras.
— C’est notre dernière chance, murmura-t-elle.
Je reculais pour mieux la sonder et je vis ses yeux se remplir de larmes. Je ne pouvais me résigner à lui faire plus de peine. Elle n’avait que trop souffert déjà. C’est avec résignation que j’enlevais donc mes vêtements et me retrouvais vite nue. Elle me fit signe de la tête pour m’inviter à rentrer dans l’eau glaciale. Et je m’exécutais.
— Océane, oh ! nymphe des eaux, j’implore ta bienveillance et te demande de sauver mon bien le plus précieux.
Maman venait de supplier une soi-disant naïade. Je me retournais vers elle et c’est à cet instant que je la vis sortir de sa poche une lame. Sans avoir eu le temps de réagir, elle s’entailla la main et la plongea dans l’eau.
Je ne me souvenais pas qu’elle ait mentionné ce passage.
C’est alors que l’incroyable eut lieu.
L’eau se mit à bouillonner, une forte lumière blanche commençait à remonter des profondeurs. Je commençais à paniquer et me rapprochais du bord afin de m’extirper au plus vite, mais maman me somma de rester où j’étais, ce que finalement je fis.
Je me retournais pour revenir à mon point de départ et c’est alors qu’une femme à la beauté stupéfiante fit surface.
Elle était vêtue d’une longue robe couleur crème telle une déesse grecque avec une ceinture tressée de feuilles de roseaux. Ses cheveux étaient si blonds et scintillants qu'ils me faisaient penser à des fils d'or qui tombaient en cascade juste au-dessus de ses genoux, sa peau était nacrée et ses yeux étaient d’un bleu abyssal. Elle flottait littéralement au-dessus de l’eau.
Bon sang ! que quelqu’un me pince pour que je me réveille, pensai-je.
J’eus un mouvement de recul.
Cependant, cet ange aquatique me fit un sourire des plus éclatants et m’adressa un : Bonsoir, Évalyn.
Alors là, c’était le pompon ! Comment savait-elle mon prénom ?
— Je suis Océane, nymphe de l’eau, reprit-elle.
Sa voix était douce et mélodieuse que j'avais l'impression d'entendre un rossignol chanter.
— Bonsoir, fut la seule chose que j’arrivais à articuler.
— Ma fille est condamnée, je vous en supplie, sauvez là ! murmura ma mère, la voix étranglée par le chagrin.
Cette phrase déclencha un frisson dans tout mon corps. Jamais je n’avais perçu un tel désarroi dans ses paroles.
— Je vois ! fit la nymphe. Mais en me demandant cela, je suppose que vous connaissez les conséquences de votre requête.
— Oui, souffla maman.
— Quoi ? Quelles conséquences ? sifflai-je paniquée.
La nymphe me regarda droit dans les yeux avec son sourire angélique et dit :
— La condition de ta guérison est que tu n’auras plus aucun souvenir des personnes que tu as connues jusqu’à maintenant, y compris ta mère. Il en va de même pour elles, elles n’auront aucun souvenir de ton existence.
— Nonnnn ! maman ! Ne me laisse pas. J’ai besoin de toi ! m’écriai-je, d'une voix emprise à l'affolement.
— Il le faut ma chérie. C’est ta seule chance de survivre. Saisis là, continue de vivre pour moi.
— Maman, je ne peux pas vivre sans toi !
— Il le faut.
Je ne savais plus quoi penser. Il y a 5 jours, je voyais maman bonne pour l’asile avec cette histoire de nymphe et là, je me retrouvais au beau milieu de la forêt plongée dans un bain de minuit avec un ange blond qui me proposait de me guérir à condition de renoncer à tous ceux que j’avais connus. Cependant, les supplications de ma mère m’avaient prise au dépourvu. Je soufflais un bon coup pour tenter de me ressaisir et lui demanda :
— Vous avez la possibilité de me guérir ?
— Oui, mais avant cela, tu dois renoncer à ta vie d’humaine, ce qui implique toutes les personnes que tu as connues jusqu'à présent ainsi que ta mère.
À ces mots, mon cœur se déchira en deux. Il fallait que je renonce à tous ceux que j’aimais. Ma vie d’étudiante, mes amies et surtout à ma maman.
— Pourquoi renoncer à ma vie actuelle si c’est pour me guérir ? demandai-je totalement confuse.
— Et bien pour devenir une sirène.
— Une quoi ? fis-je abasourdie.
Océane se mit à sourire.
Je devais devenir une sirène pour survivre. Mes idées commençaient à s’embrouiller et mon cerveau carburait à 100 à l’heure. Puis c’est là que l’image me sauta aux yeux.
— Je vais avoir une queue de poisson ?
La nymphe eut un éclat de rire.
— Bien sûr que non. C’est un mythe inventé par les humains.
Cette phrase m’arracha un ouf de soulagement.
— Je t’en prie ma chérie, accepte ! C’est ta seule chance pour que tu puisses vivre à jamais, fit ma mère, rongée par le désespoir.
— Non… non… comment ? Je ne peux pas vivre sans toi !
— Je préfère que tu vives sans moi que de te voir mourir. Tu m’entends Évalyn Sarah Miller.
J’étais perdue, comment pourrais-je envisager le moindre avenir sans celle qui m'a donné la vie ?
— Ne t’inquiètes pas, Évalyn, tu n’en auras aucun souvenir, je t’en fais la promesse. Ce sera comme si tu n’étais jamais venue au monde ici et il en sera de même pour ta mère, ajouta Océane.
Tout était brumeux pour moi. J’avais entendu pas mal d’histoires sur les sirènes. Ces êtres mi-femme, mi-poisson, ensorcelant les marins avec leurs chants, au point de les rendre fous. Cependant, si je n’allais pas être dotée de nageoires et d’écailles, je me demandais ce qu’était désormais une sirène. Océane avait finalement piqué ma curiosité.
— Si je n’ai pas de queue de poisson et que tout ceci n'est qu'un mythe, pouvez-vous me dire ce qu’est réellement une sirène ?
— Et bien, une sirène est un être pur. Elles sont les gardiennes du monde aquatique. Elles possèdent certains dons comme celui d’envoûtement entre autres.
— D’envoûtement ? répliquai-je.
— Oui, mais ce pouvoir fonctionne uniquement sur les hommes.
Je restais là, immobile, à essayer d’assimiler tout ce que je venais d’entendre.
— Par pitié, Éva accepte. C’est ta seule chance de survivre, supplia ma mère derechef.
Une profonde tristesse m’envahit. Je n’allais plus revoir celle qui m’avait mise au monde et cette idée me faisait atrocement souffrir, mais je me résignais à obéir.
— Je… j’accepte, dis-je dans un murmure. Cependant, comme nous n’aurons aucun souvenir l’une de l’autre, laissez-moi une dernière fois la serrer dans mes bras et lui faire mes adieux.
Je regardais Océane qui m’adressa de nouveau un sourire et acquiesça d’un signe de tête.
Je m’approchais du bord afin d’étreindre ma maman que j’aimais tant, une dernière fois.
— Ma chérie continue à vivre. Ces 20 années passées avec toi ont fait de moi la mère la plus heureuse du monde et le fait que tu puisses continuer à vivre me comble de joie même si c’est ici, que nos chemins se séparent. Je t’aime de toute mon âme.
— Oh ! maman je t’aime tant si tu savais.
Nos larmes ne s’arrêtaient plus de couler. Nous nous embrassâmes de nouveau.
— Il est temps maintenant, fit la nymphe
Je reculais de deux pas, les yeux rivés sur maman.
À cet instant, un tourbillon m’emporta, entrainant avec lui ma vie d’humaine et la dernière image de ma mère.
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